lundi 29 septembre 2014

Sans ou cent métiers ?

Et tu travailles ?
Alice avale de travers. Comment répondre encore à la question qui la torture à répétition. Non, oui, enfin non... La question revient à chaque café, dîner, ou nouvelle rencontre. Si travailler consiste à exercer un métier, une activité professionnelle en échange d'une rémunération, la réponse d'Alice est non, je ne travaille pas. Je ne gagne pas un centime. En revanche, oui, j'en dépense pas mal.

Un jour, Alice décide de faire la liste non-exhaustive des activités qui occupent ses journées : taxiwoman, cuisinière, lavandière, médiateur intra-familial et juge de paix, couturière, organisatrice de voyage, femme de ménage, ministre des affaires extérieures, responsable du budget familial et de la logistique...  Alice est la première à s'étonner du nombre et de la variété de ses activités ...

D'après le Larousse, le travail est l'activité de l'homme appliquée à la production, à la création, à l'entretien de quelque chose. Alors dans ce cadre-là, oui, cent fois oui ! Alice travaille. Sans elle, la vie familiale ne serait pas ce qu'elle est. Et tout cela semble normal, évident, pour ne pas dire sans valeur, aux yeux d'un observateur extérieur.

Auparavant, dans sa vie précédente, Alice travaillait auprès d'un employeur. Elle avait un horaire précis, une rémunération régulière et une certaine forme de reconnaissance. Son activité professionnelle alliait un sentiment d'indépendance, une autonomie financière, l'impression de ne pas avoir une minute à elle et la certitude d'être une citoyenne à part entière, active dans la société.


Depuis qu'elle vit en expatriation, puisqu'Alice a suivi son mari, Alice assume ce choix. Cependant sa vie  a changé d'une manière qu'elle n'avait jamais envisagé. Alice est actuellement soit la femme de... soit la mère de... en fonction des contextes où elle se trouve. Si cela ne tenait qu'à ces contacts-là, Alice n'aurait plus l'impression d'être elle-même. Alice ne renie ni sa fonction maternelle, ni celle de femme mariée mais elle refuse de se sentir enfermée dans ces étiquettes qui ne disent  pas tout de qui Alice est intrinsèquement.

Son mari reconnaît, apprécie et s'appuie sur tout ce que fait Alice pour la maison et les enfants ainsi que pour l'organisation de leur vie familiale. Sans elle, il ne pourrait avoir les longues journées de travail qui l'occupent actuellement. Les enfants sont ravis de retrouver leur mère après l'école et d'échapper à la garderie ou l'étude. Les repas familiaux sont d'une qualité inégalée car Alice prend le temps de cuisiner de vrais plats. Tant d'avantages sont présents dans leur vie à tous.


Et Alice ?  Comment y trouve-t-elle son compte ? Que veut-elle pour elle-même ? Qui va donner de la valeur à ses activités ? Faire la grève, est-ce une option ? Peut-elle encore envisager une carrière ? Que peut-elle faire maintenant ? Qu'est-ce qui la ferait vivre ?  Qu'est-ce qui donnerait du sens à sa présence ici ?

Ouvrir le champ des possibles et changer de façon de penser.  Sortir des catégories et des étiquettes : dans la vie tout n'est pas noir ou blanc, je travaille ou je ne travaille pas.  Accorder de la valeur à ses propres activités et redevenir sa propre meilleure amie, se regarder avec bienveillance, trouver des compétences enfouies.  Ce séjour est peut-être l' occasion unique de développer un nouveau projet personnel dans un cadre différent. Toute personne a en elle une forme de créativité qui attend le moment favorable pour s'exprimer. 

Se détacher du besoin de reconnaissance de la société est une étape de libération qui peut agir comme une écluse qui s'ouvre pour laisser couler les flots. Les idées vont jaillir et il sera possible d'envisager du neuf, du jamais imaginé, du jamais fait ... Et pourquoi pas ?

Quelles sont les ressources disponibles là où Alice se trouve maintenant ? Une seconde étape indispensable comprend l'examen des ressources internes, personnelles tels que l'expérience, les talents, les désirs profonds, ainsi que l'étude des ressources externes : réseaux, associations, lieux  de formation ...

Se donner les moyens pour créer un projet sera l'étape suivant. Que manque-t-il pour démarrer ? une formation pratique ou théorique ?  plus de temps disponible ? une énième révision de son agenda avec un oeil neuf ?  la recherche d'une baby-sitter ? l'achat de matériel adéquat ? développer son réseau social local ?

Evaluer les obstacles qui ne manqueront pas de surgir, les "oui, mais", les "je ne sais pas si j'y arriverai", les "est-ce que ça vaut la peine ?"...  Franchement, ces obstacles sont-ils insurmontables ?

Entrer dans la dynamique des petits pas qui consiste à fractionner l'objectif principal en autant de petits objectifs qui seront plus faciles à atteindre.

La gestation d'un nouveau défi est en cours. Patience et détermination donnent un résultat qui souvent dépasse les espérances initiales.

Alors sans métier ? Oui, cent métiers et un nouveau projet !


Anne

Photos prises par l'auteur  à l'Armory Show 2011 à New York City.