samedi 24 mai 2014

Partir, c'est mourir un peu

La maison en planches a un certain charme, elle est accueillante, c’est ton « chez moi ». La rue est calme, les poteaux électriques avec leurs câbles en tous sens ne choquent plus ton œil si critique lorsque tu es arrivée ici. Tu connais tes voisins, les uns sont aimables, les autres sont discrets.  Le décor t’est devenu familier.  Aujourd’hui, tu le regardes d’un autre œil … car ce décor tu vas le laisser derrière toi, il va bientôt appartenir au passé.

Tu essayes d’assimiler la nouvelle que vient d’annoncer fièrement ton cher et tendre « Chérie, c’est fantastique, je suis nommé à … ». Suit le nom d’une grande ville sur un continent lointain ou dans ton pays d’origine. Le chéri, lui, est tout feu tout flamme et déjà mentalement en partance.  Il organise ses premiers rendez-vous overseas.

Son départ physique est tout proche ou bien il est déjà parti.  Tu a vite compris … tu te retrouves face à une montagne qui te semble insurmontable : tu vas devoir clôturer le séjour de toute la famille tout en assurant la vie quotidienne : les enfants, l’école, les engagements et activités qui t’appartiennent, ensuite viendra le déménagement suivi des vacances d’été.

Tu réalises aussi que très vite il te faut prendre contact avec les écoles dans la nouvelle destination, et penser à ce que sera la vie là-bas. Ta to-do liste mesure déjà un mètre. Ton esprit saute d’un point à l’autre. Tu ne dors plus, tu penses en continu. Tu ne sais pas par où commencer. L’idée de faire tout ça toute seule te fige. Tu te sens partagée entre ici et là-bas, entre fin de partie et projet neuf.

Qui, parmi nous, n’a pas vécu cette situation à la fois excitante et épuisante ? Nos histoires se ressemblent toutes et gardent leur singularité. Mais à chaque fois, c’est toi, c’est moi, c’est nous qui sommes en première ligne.

Comment faire pour négocier ce nouveau tournant d’une vie qui en a déjà connu quelques-uns ? Comment vivre ces derniers mois sereinement ? A quoi être attentive ? Où puiser l’énergie nécessaire et indispensable ?

Je l’avoue d’emblée, je n’ai pas de réponses toutes faites. J’ai un peu d’expérience et beaucoup de questions dont j’espère qu’elles stimuleront ta réflexion, t’aideront à établir les priorités, à découvrir les ressources à utiliser, et à faire régulièrement le point pour repartir à nouveau.  Il n’y a pas non plus de bonnes ou de mauvaises réponses. Chacune trouvera la réponse qui lui convient le mieux ainsi qu’à sa famille.


Stop !

Avant de te lancer dans la bataille, n’hésite pas à prendre un temps d’arrêt, histoire de reprendre ton souffle.  Crayon et papier seront tes alliés : tout ce qui s’engouffre en vrac dans ton esprit, tu pourras le déposer dans un petit carnet qui ne te quittera plus. Il sera sur ta table de chevet pour recevoir les idées qui n’auront de cesse de surgir en pleine nuit. Une fois sur papier, elles n’encombreront plus ton sommeil.

Assise confortablement devant une tasse de café, tu pourras ensuite passer ta liste en revue et marquer les priorités et les urgences. Les tâches qui te semblent énormes pourront être divisées en tâches plus petites et réalisables, avec une date butoir pour chacune.

Lorsque tu te sentiras calée, plus moyen d’avancer, tu pourras te demander ce qui t’est particulièrement difficile à ce moment précis.  Est-ce le fait d’être seule et de ne pouvoir partager au quotidien avec ton mari les obstacles et les progrès accomplis ? Est-ce l’impression de travailler comme une machine ? Est-ce l’absence de reconnaissance de ce que tu fais ? Est-ce la perspective de quitter tes amies qui t’attriste ? Est-ce la peur de l’inconnu ? La crainte de manquer d’énergie ? La sensation d’être débordée ? Les enfants qui sont surexcités ? Ou tout autre chose ?


Si la réponse n’est pas évidente, tu peux te demander de quoi tu as besoin en ce moment pour identifier avec précision ce qui te remettra en route : une séance de tennis, de yoga ou de natation, une balade dans la nature, une bonne sieste, une sortie entre amies, un coup de fil tout simplement …

Pour « bien » partir, il est important de  marquer le départ. La plupart des familles l’ont bien compris qui organisent une soirée, un dîner ou une réception pour dire au revoir aux amis. Heureusement les mails, skype, facebook et autres moyens sont là pour garder le contact.  Les enfants aussi voudront marquer leur départ par un sleepover, une boum ou toute autre activité entre copains et copines …

Les dernières semaines ne manqueront pas de s’accélérer. Tu seras plongée dans l’action. Tu n’auras plus une minute pour penser et tout à coup le départ sera là. C’est alors que les mots du poète* prennent tout leur sens :

Partir, c’est mourir un peu,
C’est mourir à ce qu’on aime :
On laisse un peu de soi-même
En toute heure et dans tout lieu.

Une étape viendra au moment opportun, pendant les grandes vacances peut-être ou lors de ton arrivée dans la nouvelle destination ou quelques mois plus tard.  Ce sera l’étape du deuil de ton expérience présente. Pour les unes, cela se fera naturellement, presque facilement, pour les autres, ce sera moins évident. Et tu pourras connaître cette ambivalence des sentiments si difficile à vivre :  tout en étant contente d’entamer une nouvelle tranche de vie ailleurs, avoir la nostalgie de ce que tu vivais dans la région que tu habites actuellement. Ne sous-estime pas cette étape. Vis-la à fond, larmes à l’appui si nécessaire. Le temps fait son œuvre : il t’aide à te détacher du passé, à le mettre à sa juste place, à rassembler ton énergie pour vivre dans le présent tout neuf qui sera le tien.

 Vision of a new life ahead ?

Take care !

Anne


*Edmond Haraucourt  (Rondel de l’adieu, 1890)